“Les géomètres du XVII-ème siècle considéraient l’intégrale de f(x) –le mot intégrale n’était pas encore inventé, mais peu importe– comme la somme d’une infinité d’indivisibles dont chacun était l’ordonnée, positive ou négative, de f(x). Eh bien ! nous avons tout simplement groupés les indivisibles de grandeur comparable ; nous avons, comme on dit en algèbre, fait la réunion, la réduction des termes semblables. On peut dire encore que, avec le procédé de Riemann, on essayait de sommer les indivisibles en les prenant dans l’ordre où ils étaient fournis par la variation de x, on opérait donc comme le ferait un commerçant sans méthode qui compterait pièces et billets au hasard de l’ordre où ils lui tomberaient sous la main; tandis que nous opérons comme le commerçant méthodique qui dit :

j’ai µ(1) pièces de 1 couronne valant 1 · µ(1),

j’ai µ(2) pi`eces de 2 couronnes valant 2 · µ(2),

j’ai µ(5) pi`eces de 5 couronnes valant 5 · µ(5),

etc,

j’ai donc en tout S = 1 · µ(1) + 2 · µ(2) + 5 · µ(5) + ···

Les deux procédés conduiront, certes, le commerçant au mème résultat parce que, si riche qu’il soit, il n’a qu’un nombre fini de billets à compter; mais pour nous, qui avons à additionner une infinité d’indivisibles, la différence entre les deux façons de faire est capitale” [Henri Lebesgue, Sur le développement de la notion d’intégrale (1926)]